-
Ascension sociale
Je vous parlais du temps fictionnel dans un précédent article. Le temps du film, le cinéma compresse le temps. A Most Violent Year illustre brillamment le phénomène en contractant un mois sur deux heures de projection. Je suis d'emblée sous tension durant une course contre le chrono en vue de finaliser le rachat d’une raffinerie de pétrole au bord de l’Hudson. Abel Morales a versé un gros acompte qu’il perdra si les banques ne le suivent pas.
Le petit latino-américain a grandi très vite, trop vite.
Ses camions-citernes tournent sans relâche ; Abel pique des clients à ses concurrents. Le secteur veut le mettre au pas et détourne les camions du parvenu arrogant. Les banques paniquent, un procureur le poursuit, Abel est cerné. Les propriétaires juifs des installations convoitées lui accordent royalement trois jours de rabiot pour réunir un million et demi de dollars.
Pris par le temps, Abel est contraint de prendre des risques. Il doit déroger à son éthique du droit chemin sur lequel il s’efforce de progresser le plus possible. Son épouse a moins de scrupules. Fille de truand, elle porte un revolver sur elle.
Anna crache le feu sur le cerf qui a heurté leur véhicule. Abel ne parvenait pas à trucider l’animal blessé à mort. C’est elle la patronne dans l’ombre.
Jessica Chastain aime les rôles de femme déterminée. Dans Zero Dark Thirty, aucun de ses collègues mâles du FBI n’a prise sur elle. Eleanor Rigby provoque la rupture de son couple. Rachel Singer est un agent du Mossad.
L’actrice en vogue ascensionnelle cultive d’ailleurs une certaine emprise sur ses réalisateurs. Elle les convainc (excepté Catherine Bigelow) de suivre sa vision du rôle. Jessica donne corps à son personnage rôle en consignant dans un carnet les 1001 caractéristiques qu’elle lui attribue.
Elle se fond dans son personnage, « j’ai le devoir de disparaître », dit-elle, comme elle se retient d’apparaître dans sa vie privée. « Le jour où on saura qui je suis, je me retrouverai enfermée dans un rôle. Je cesserai d’incarner un mystère, je serai morte », déclare-t-elle à M le magazine du Monde, en décembre dernier. »
Jessica sait ce qu’elle veut, Anna aussi. Elle pousse Abel à défendre son territoire et sa famille. Ne pas se laisser coincer, agir coûte que coûte. A Most Violent Year est serré du début à la fin. J.C. Chandor continue à dépeindre des mœurs affairistes pires que l’univers impitoyable de Dallas.
Dans Margin Call, il s’était inspiré de la faillite de Lehman Brothers et des conseils de son père agent de change pour relater la nuit folle où des cambistes sauvent les meubles en ruinant leurs confrères.
Ils vendent à vil prix en martelant un argument massue : ma perte aujourd’hui est votre profit de demain.
Une nuit/ un film : un mois/ un film, la contraction temporelle décuple la tension. Abel et les traders partagent le même goût de l’adrénaline, de l’excitation du beau coup, de la richesse indécente. Ce sont des compétiteurs, des individualistes, des hyperactifs. Ils veulent dominer leur secteur, ils entendent maîtriser leur destin.
Ugo poursuit la même ambition de conquête. Le gamin de 9 ans veut devenir champion de tennis. Il est prêt à tout pour arriver à ses fins. Il prend exemple sur son père, cadre commercial licencié. Jérôme se bat pour monter sa propre société. Terre battue est inspiré d’un fait divers. Ce premier film entremêle plusieurs sujets et n’en approfondit aucun. Olivier Gourmet sauve les meubles. Valeria Bruni Tedeschi quitte le foyer prématurément.
Un même esprit de compétition règne à New York et à Lille. Très bien ou moins bien réalisés, des films démontent le mythe de la réussite qui aveugle tellement notre société.
-
Commentaires